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Normativité et disruption du vivant dans l’Anthropocène

Georges Canguilhem, 80 ans après Le Normal et le Pathologique

Quelle est aujourd'hui la pertinence des concepts de Canguilhem pour la compréhension du vivant et l'action.

Abstract

Quatre-vingts ans après, Le Normal et le Pathologique est une référence majeure en philosophie mais qu’en est-il en biologie et en médecine ? Plus précisément, quelle est aujourd’hui la pertinence des concepts de Canguilhem dans la compréhension du vivant et de l’action concernant le vivant ?


Normativité et disruption du vivant dans l’Anthropocène

Maël Montévil1

1 Introduction

Quatre-vingts ans après, le Normal et le Pathologique est une référence majeure en philosophie mais qu’en est-il en biologie et en médecine? Plus précisément quelle est aujourd’hui la pertinence des concepts de Canguilhem dans la compréhension du vivant et l’action concernant le vivant, qu’il s’agisse de la médecine ou des nouveaux enjeux concernant la protection des écosystèmes ?

Rappelons que pour Canguilhem, la santé n’est pas le fait de respecter une norme définie de manière extrinsèque à l’individu – norme qui pourrait être saisie de manière statistique au niveau d’une population. Au contraire, la santé pour Canguilhem est la capacité à être normatif, c’est-à-dire à produire de nouvelles normes en réponse à la maladie ou aux changements du milieu. Ceci suppose que la norme soit individuelle, et donc qu’elle soit relationnelle comme le souligne Jean Gayon (Gayon 2000). Aussi bien la question de l’individualité des normes, que la pertinence du concept de normativité sont problématiques dans la biologie et la médecine contemporaines, nous y reviendrons.

Pour ce qui est de l’action concernant le vivant, un nouvel enjeu convoque la biologie à l’époque actuelle, que l’on appelle souvent l’Anthropocène. Il s’agit de la sixième extinction de masse de l’histoire de la Terre qu’un nombre croissant de scientifiques décrivent (Cowie, Bouchet, and Fontaine 2022), et plus généralement de la transformation, par les développements technologiques, de l’ensemble des milieux des êtres vivants, y compris les vivants humains, par les développements technologiques. La question est alors celle des conséquences de ces transformations sur les êtres vivants concernés – en première approximation, tous les êtres vivants. Si le travail de Canguilhem dans le Normal et le Pathologique concerne la médecine et la biologie dans son lien avec la médecine, nous allons donc opérer aussi un déplacement pour discuter la pertinence de ses concepts pour penser les nouveaux enjeux où les sciences de la vie jouent un rôle central. Ce déplacement est significatif, mais il revêt aussi une logique assez immédiate. Si le Normal et le Pathologique traite de la santé humaine, l’Anthropocène affecte la santé de multiples êtres vivants. Dès lors la question de la nature de la réponse des êtres vivants face aux « infidélités du milieu », dans les termes de Canguilhem (Canguilhem 1972, p130), réapparaît avec de nouveaux enjeux.

Nous allons aborder la pertinence de certain aspects du travail de Canguilhem à l’aune de la biologie théorique contemporaine. Pour ce faire, nous allons aborder la question du caractère individuel, ou non, des normes biologiques puis celle du concept de normativité à proprement parlé. Ensuite nous allons aborder le nouvel enjeu de l’Anthropocène et montrer la pertinence des concepts de Canguilhem à condition d’y faire certains ajouts.

2 Individus et normes

2.1 La question des normes comme normes individuelles

Comme nous l’avons rappelé en introduction, dans la pensée de Canguilhem « en matière de normes biologiques, c’est toujours à l’individu qu’il faut se référer (Canguilhem 1972, p118) ». Si la norme était populationnelle, alors la normativité ne saurait être la réponse à la maladie. Elle existerait au mieux au niveau de la population. Par contre, si la norme est individuelle, elle prend son sens dans les relations au sein de l’organisme et entre l’organisme et son milieu, elle est donc relationnelle.

Or, à l’opposé de la philosophie de Canguilhem, force est de constater que la biologie et la médecine ont suivit un tournant populationnel et statistique. En biologie, il s’agit tout d’abord du « tournant phylogénétique » tel que décrit par Lenny Moss où « le théâtre de l’adaptation est passé de celui des histoires de vie individuelles, c’est-à-dire des ontogénies, à celui des populations sur plusieurs générations, c’est-à-dire les phylogénies (nous traduisons) (Moss 2004) ». Ce tournant, est celui de la synthèse moderne qui articula, entre les années 30 et 50, la génétique et la théorie darwinienne en posant la génétique des populations comme centrale. Ce domaine modélise l’évolution comme ayant lieu dans une population à partir des dynamiques génétiques : reproduction, mutation, migration, etc. et surtout comme compétition entres différents variants génétiques dans une population. Ce cadre a dominé la biologie lors de la deuxième moitié du XXième siècle, notamment avec l’appui de la biologie moléculaire. Ce domaine s’attache à comprendre comment l’ADN, entendu comme porteurs de l’hérédité, détermine les êtres vivants par des interactions au niveau moléculaire. Aussi, le point de vue dominant parmi les biologistes de la deuxième moitié du XXième siècle est que les organismes sont déterminés par leurs gènes, et suivent des normes inscrites dans les gènes (téléonomie). Les variations, celle qui ont un sens au cours de l’évolution, sont les mutations gardées par la selection naturelle, phénomène essentiellement populationnel appréhendé par la génétique des populations. Il en résulte que, parmi les philosophes de la biologie, la définition de la notion de la plus est répandue est celle d’une variation ayant été sélectionnée à cause de ses conséquences (Godfrey-Smith 1994). Et, la sélection étant populationnelle, on observera bien que suivant cette définition on ne peut parler de changements fonctionnels nouveaux au niveau de l’individu, donc de normativité.

Le deuxième domaine ayant suivi un tournant populationnel est la médecine, avec la médecine dite « par la preuve » qui a émergé à la fin des années 80 et au début des années 90 (Montévil 2022). Cette approche de la médecine visait à dépasser la persistance de traitements considérés comme bénéfiques alors qu’une enquête empirique plus précise montrait que leurs effets sont en fait négatifs ou du moins que d’autres approches étaient meilleures. Mais quelles sont donc ces enquêtes empiriques qui constituent la preuve de la médecine par la preuve? Il s’agit par excellence de l’essai randomisé en double aveugle, c’est-à-dire d’un essai où la population de l’essai clinique est divisée en un groupe recevant un placebo et un ou plusieurs groupes recevant des traitements putatifs, les acteurs de l’essai ne sachant pas quel patient est dans quel groupe. Le sens de cet essai est de créer les conditions pour un test statistique à fin de montrer que le traitement est meilleur qu’un placebo. Cependant, le sens probabiliste de cette méthode est l’hypothèse sous-jacente que la réponse des patients suit une unique loi de probabilité, de sorte qu’il s’agit bien d’appréhender des normes collectives et non des normes individuelles. Dans la doctrine de la médecine par la preuve, cependant il reste dans cette doctrine une petite place pour les normes individuelles à travers « l’expérience du médecin » – ce qui suppose implicitement que la pensée médicale ou physiologique ne saurait être capable d’appréhender les cas individuels au-delà de la simple « expérience », autrement dit que les normes comme individuelles, et la normativité, ne sauraient être l’objet d’un savoir théorique.

La biologie et la médecine ont donc connu une période réfractaire à la pensée de Canguilhem. Il existe cependant une filière minoritaire en biologie théorique où l’idée de norme individuelles retrouve un sens central. Cette filière inclue le concept d’autopoïese de Maturana et Varela (Varela, Maturana, and Uribe 1974), les systèmes (M, R) de Rosen (Rosen 1991) et les ensembles auto-catalytiques de Kauffman (Stuart A. Kauffman 1993). Dans ces trois approches, l’idée est de recentrer le regard sur l’organisme (ou la cellule), abordé à travers une circularité causale constituant un tout par la topologie des interactions. Le niveau de l’organisme se comprend par le fait que chacune de ses partie contribue à en maintenir une autre et réciproquement est maintenue par une ou plusieurs autres parties. Ces approches permettent donc bien de comprendre les régularités biologiques comme individuelles, car ce qui compte, dans ces perspectives, c’est la circularité causale quelles qu’en soient les constituantes, bref, que l’ensemble des parties tiennent ensemble. Nous avons contribué à cette tradition en développant le concept de clôture entre contraintes, visant à traiter certaines difficultés rencontrées avec les cadres antérieures (Montévil and Mossio 2015). Ce cadre conduit aussi aux théories dites de l’autonomie biologique, où les normes sont intrinsèques à l’être vivant considéré (Moreno and Mossio 2015).

Notons que nous sommes passé ici du concept de norme, chez Canguilhem, à celui de régularité, ou, dans notre vocabulaire, à celui de contrainte. Les concepts de contrainte et de norme portent un enjeu commun, celui d’une “loi” locale, limitée à un individu, mais le concept de norme va au delà car il suppose, à notre sens, une polarité qui, dans le cadre de la clôture entre contraintes, est construite par la clôture et donc par une circularité. Néanmoins, une fois une clôture identifiée, les contraintes participantes ne sont pas que des contraintes, et peuvent être interprétées comme des normes (Tahar 2022).

Ces cadres posent cependant en général une difficulté. Ils interprètent l’organisation biologique comme, mathématiquement, un point fixe, c’est-à-dire que l’organisation peut alors avoir ses normes, ou ses régularités, propres, mais elle est conçue comme se maintenant identiquement à elle-même, un maintien à l’identique qui signifie que le concept de normativité leur est étranger. Le cadre de la clôture entre contraintes vise notamment à surmonter cette limitation. Les contraintes y sont conçues comme des régularités affectant des processus de transformation, mais dont la validité est limitée dans le temps. La clôture permet de comprendre comment ces régularités se maintiennent collectivement et donc durent dans le temps. La clôture signifie seulement qu’il y a une stabilisation et elle n’implique pas, cependant, que ces contraintes vont effectivement durer et que la clôture soit effectivement suffisante pour cela. Bien au contraire ce cadre permet d’aborder comment certaines contraintes ont précisément comme rôle d’engendrer des changements d’organisation, ce qui nous amène à la question de la normativité (Montévil and Mossio 2020).

2.2 La normativité

Le concept de normativité est au centre du travail de Canguilhem. Pour lui, « l’homme [en bonne santé] se sent plus que normal — c’est-à- dire adapté à son milieu et à ses exigences — mais normatif, capable de suivre de nouvelles normes de vie (Canguilhem 1972, p132) ». Comme nous l’avons dit précédemment, le tournant phylogénétique a déplacé l’agentivité des individus aux populations et a alors rejeté ou du moins marginalisé l’analyse de possible normativités biologiques.

La situation a néanmoins changé dans les deux dernières décennies. Un débat a été ouvert en biologie de l’évolution pour passer la synthèse moderne à une synthèse dite étendue, embrassant une diversité de phénomènes en décalage avec la synthèse moderne. Il s’agit par exemple de la construction de niche :les êtres vivants ne s’adaptent pas seulement à leurs milieux, ils les transforment, et ces transformations sont transmises de génération en génération comme dans le cas des barrages de castors. Les recherches sur l’hérédité dite épigénétique ont aussi montré que, même au niveau moléculaire, l’ADN n’est pas le seul support de l’hérédité. Enfin, le domaine de l’évo-dévo a émergé en étudiant le couplage entre l’évolution et le développement, et en montrant que la plasticité développementale est telle que les innovations peuvent se produire au niveau de l’individu avant d’être possiblement consolidées par des changements génétiques (Laland et al. 2014). Les changements au niveau de la théorie de l’évolution sont cependant très lents, de nombreux biologistes sur la ligne de la synthèse moderne, l’ancienne position, refusant même frontalement le débat (Buranyi 2022).

Néanmoins, les débats autour de la synthèse moderne ont ré-ouvert la question de ce que peut un corps et du rôle de la normativité dans l’évolution et plus généralement en biologie. L’enjeu de ce débat n’est pas seulement d’ajouter des mécanismes au cadre de la synthèse moderne, comme le suggère à tort le nom de synthèse étendue, mais aussi de réévalué le rôle des gènes dans la détermination des êtres vivants – le concept de gène étant lui même particulièrement affaibli (Fox Keller 2002). De ce point vu, un cas a été particulièrement débattu. Il s’agit d’une chèvre née avec une paralysie des membres antérieurs. Étant un animal domestique, sa survie a été facilitée, mais c’est sa normativité qui a attiré l’attention (West-Eberhard 2003). En effet, ne pouvant se déplacer avec ses pattes antérieures, cette chèvre a réussi à passer à un mode de locomotion bipède, sur ses pattes postérieures. Après sa mort, la dissection a révélé des changements anatomiques majeurs, notamment un redressement du bassin et une réorganisation des muscles et des tendons rappelant l’anatomie humaine. La conclusion qui en est tirée est que le développement est déterminé non seulement par l’hérédité mais aussi par les activités du corps au cours de la vie et que ces dernières peuvent engendrer des changements majeurs et fonctionnels. Poussé jusqu’au bout, ce raisonnement nous conduit à avancer l’hypothèse que la normativité est constitutive du développement.

Le développement n’est pas le seul domaine où les capacités de l’individu sont rééavaluées. Ainsi des expériences sur la levure montre que, face à un changement de la régulation d’un gène essentiel à la survie effectué par manipulation génétique, les cellules au lieu d’en mourir, parvenait à réorganiser leur réseau de régulation génétique de sorte à retrouver, au bout d’un temps, une croissance normale et ceci sans mutation (Moore 2014). À un tout autre niveau, des travaux récents s’intéressent au rôle du comportement comme source d’innovation dans l’évolution (Tahar 2023). Ainsi donc, le concept de normativité retrouve une pertinence du niveau moléculaire jusqu’au niveau du développement et du comportement. Étudier cette pertinence reste néanmoins minoritaire et des travaux plus systématiques seraient les bienvenus.

La question de la normativité se pose aussi au niveau épistémologique pour la biologie théorique. En effet, si la normativité est le fait de pouvoir produire et suivre de nouvelles normes, nous avons certes abordé la question de ce que signifie “norme” en nous appuyons sur les approches organisationnelles, mais il reste à définir ce que signifie nouveau. Dans les cas de la chèvre et de la levure, les nouveautés exhibées sont claires car ils s’agit de cas extrêmes : la bipédie chez la chèvre ne correspond à aucun caractère de leurs ancêtres et dans le cas de la levure la perturbation génétique est d’une nature différente des variations rencontrées dans leurs milieux ou par une simple mutation. Mais, pour que la question de la normativité soit l’objet de recherches plus systématiques, nous avons besoin d’une définition plus précise de “nouveauté”, et capable d’aborder des cas moins extrêmes.

À cet égard, nous pouvons rapprocher la question de la normativité d’une question émergente en biologie théorique, celle du possible et plus précisément la question des nouveaux possibles. Cette question a, en un sens, déjà été posée pas Bergson lorsqu’il défend que certaines choses n’existent pas comme possible avant d’exister (Bergson [1934] 2014). En biologie théorique, la question devient celle de l’espace des possibles et des changements de cet espace (Longo and Montévil 2011; Sarti, Citti, and Piotrowski 2019; Stuart A. Kauffman 2019). Ici il faut préciser que la physique comprend typiquement les changements d’un objet comme des déplacements dans un espace pré-donné, l’espace des états. Parler de changement de l’espace des possibles et dire que ces changements ne sont pas déductibles de la situation antérieure c’est donc marquer une différence décisive entre la physique et la biologie, ici sur la question de l’historicité. Nous avons contribué à cette question de plusieurs manières, mentionnons ici une définition d’un sens fort de nouveauté comme conséquence non-générique de la situation de départ participant à une organisation, au sens de clôture entre contraintes, du fait cette spécificité (Montévil 2019). Cette définition est très proche du concept de normativité car elle couple le concept de contrainte participant à une organisation à celui de nouveauté. De plus, ici, le concept de nouveauté de ne se réfère pas à l’histoire en général mais à l’organisation concernée. Cependant remarquons que si la nouveauté n’est pas une conséquence générique de la situation initiale, alors elle n’a que peu de chances de se répéter – il n’est pas possible de parler, par contre, de probabilité dès lors que le possible n’est pas fixé.

Le cadre conceptuel de Canguilhem dans le Normal et le Pathologique a donc subi un revers important dans la deuxième moitié du XXième siècle avec la domination des approches populationnelles et en biologie des approches génocentrées. Des courants minoritaires ont cependant travaillé la question des normes biologiques entendues comme individuelles, notamment en biologie théorique. D’autres chercheurs ont fait réémerger la question de l’organisme et de ses capacités normatives dans les différents champs de la biologie, du niveau moléculaire au niveau évolutif. L’articulation des deux concepts est rare, mais elle est activement travaillée.

3 Le nouvel enjeu épochal

Comme annoncé lors de l’introduction, la question de la santé et de la normativité, et donc la pertinence du travail de Canguilhem, est reposée aujourd’hui par les nouveaux enjeux de ce qui est désigné généralement comme l’Anthropocène et qui implique l’ensemble du vivant.

Posons plus précisément le cadre de notre discussion. Ici, nous abordons la question de l’Anthropocène comme un bouleversement des milieux de vie par les développements technologiques. Ces bouleversements affectent aussi bien les êtres vivants humains que non humains, suivant des modalités diverses. Sous l’angle de l’effondrement de la biodiversité, nous pouvons distinguer deux types de menaces. Il y a d’un côté celles procédant de la destruction directe des vivants concernés, par exemple par la surpêche, aussi bien que la destruction de leurs habitats et dans ces cas, le Normal et le Pathologique n’est pas immédiatement pertinent. Mais il y a aussi la désorganisation des êtres vivants engendrée par les effets primaires ou secondaires des technologies, et ici les concepts de Canguilhem sont particulièrement intéressants. Les « infidélités du milieu » engendrées par les technologies rendent pressente la compréhension des désorganisations du vivant qu’elles engendrent, ainsi que la compréhension de la normativité du vivant comme capacité à surmonter ces désorganisations, bref de la santé au sens de Canguilhem.

Travaillons tout d’abord la question de ces infidélités du milieu. Canguilhem introduit ce terme pour insister sur le fait que le milieu d’un être vivant n’est pas les lois censément anhistoriques et universelles de la physique mais est constitué d’éléments qui peuvent changer plus ou moins rapidement. Il s’ensuit que le milieu d’un être vivant peut changer, y compris sur des propritétés qui ont pu avoir une certaine stabilité pendant l’ensemble de son temps de vie voire pendant des millions d’années. Ces changements du milieu peuvent être relativement mineurs, ne nécessitant pas de changements significatifs d’organisation pour la survie. Dans ce cas, ils peuvent certes conduire à un stress supplémentaire, mais comme l’être vivant affecté n’est pas menacé à court terme, des changements d’organisation peuvent être explorés en réponse. D’autres changements sont au contraire très bénéfiques pour certaines espèces, ce qui peut toutefois désorganiser les écosystèmes auxquelles elles participent. Enfin, des changements sont particulièrement néfastes. En anglais, ils sont typiquement décrits comme des disruptions – et ceci avant que le terme ne prenne un autre sens en stratégie économique et parfois politique. Dans ces cas, il y a typiquement une difficulté afin que les êtres vivants aient une réponse normative. La notion de disruption n’a cependant pas été systématiquement théorisée, travail auquel nous nous attelons.

Introduisons d’abord un exemple. La conférence de Wingspread, organisée par Theo Colborn en 1991, a montré que derrière des phénomènes observés dans la protection de la faune sauvage, en médecine et expérimentalement en laboratoire, se trouvait un problème général. La conférence a conduit à une déclaration commune développant le concept d’endocrine disruptor (perturbateur endocrinien) (Colborn and Clement 1991). Plus tard, l’Endocrine Society définit les perturbateurs endocriniens comme « une substance ou un mélange de substances chimiques exogènes qui interfère avec n’importe quel aspect de l’action hormonale (nous traduisons) (Zoeller et al. 2012) ». Comme pour la définition des carcinogènes, l’objectif de cette définition est la catégorisation des substances chimiques, ici comme perturbateur endocrinien, afin de traiter dans un second temps l’analyse de risque à proprement parler. Cette dernière demande des moyens adaptés à la catégorisation comme perturbateur endocrinien et fait, de plus, intervenir le concept d’exposition. Pour devenir opératoire, cette définition demande donc de faire appel aux connaissances en endocrinologie.

Pour comprendre les perturbateurs endocriniens, il convient donc d’expliquer brièvement ce qu’est un système endocrinien. Avec l’apparition de la multicellularité, la régulation de l’activité des différentes cellules constituant un organisme est devenu biologiquement pertinente. Les systèmes endocriniens sont apparus : des organes sécrètent des substances passant dans le système circulatoire et régulant l’activité de cellules distantes. Les systèmes endocriniens sont cruciaux pour le développement, car ce dernier implique une certaine coordination des différentes parties de l’organisme en formation. Dans ce contexte, l’introduction dans l’environnement de très nombreuses nouvelles molécules par les industries chimiques pose problème, car certaines d’entre elles interfèrent avec l’action des hormones, donc avec ce qui contribue à réguler et coordonner les différentes parties des organismes multicellulaires et en particulier lors du développement. Ainsi, les molécules comprenant des membre de la famille des halogènes comme l’iode ou le brome sont rare dans le vivant à l’exception des hormones thyroïdiennes qui comprennent de l’iode. Le développement par les industries chimique de molécules comprenant des halogènes introduit donc quelque chose de particulièrement nouveau dans les milieux biologiques et qui est particulièrement susceptible d’interférer avec les hormones thyroïdiennes.

Or, lors du développement, les organes et les tissus se mettent en place suivant des étapes relativement stéréotypées et suivant des processus qui ne se répéteront pas lors de la vie. Dès lors, si ce processus est altéré, ces altérations ont des conséquences durables voire irréversibles. Le développement passant par des régulations hormonales précises à des moments précis, l’interférence des perturbateurs endocriniens va altérer ce développement. Les voies particulièrement affectées sont les œstrogènes, et donc le développement des caractères sexuels, et les hormones thyroïdiennes impliquée notamment dans le développement cérébral.

Précisons un peu la situation conceptuelle. L’histoire évolutive a produit des situations spécifiques ou singulières et qui sont fonctionnelles par leurs spécificités, ici les régulations hormonales lors du développement. Il y a disruption quand ce résultat de l’histoire biologique est randomisé ou plus généralement éloigné de cette singularité, ce qui conduit à une perte de fonctionnalité. Par exemple le distilbène, perturbateur endocrinien œstrogénique, conduit à utérus de forme différente, ce qui conduit à un risque important de grossesse ectopique, c’est-à-dire en dehors de l’utérus, ainsi qu’à des risques de cancer.

Discutons un autre exemple, le rapport entre plantes et pollinisateur en écologie des populations, et la disruption de ces relations par le changement climatique qui ont fait l’objet de modèles mathématiques (Memmott et al. 2007). Dans un tel modèle, chaque plante a une période de floraison et chaque pollinisateur a une période d’activité. Pour survivre, chaque plante doit être pollinisée par au moins un pollinisateur. De même, les pollinisateurs doivent avoir des plantes à polliniser pendant toutes leurs périodes d’activité, faute de quoi ils disparaissent. La situation initiale est particulière : toutes les plantes et pollinisateurs sont dans une configuration viable, ce qui est extrêmement rare parmi les configurations possibles. Cette rareté est un enjeu épistémologique, car en modélisation rencontrer de valeurs particulière des paramètres doit être expliqué, à tel point que cet aspect méthodologique conduit à un problème en cosmologie appelé le fine tuning des paramètres. En écologie, cette configuration particulière est expliquée par l’histoire sous-jacente de ces écosystèmes – et l’historicité entre donc en jeu de manière nécessaire dans la modélisation. En même temps, la condition de viabilité pour les plantes et pollinisateurs, et leurs réseaux d’interactions, conduit à une analyse systémique, à un instant donné. Après un changement climatique et les décalages phénologiques subséquents, un nombre significatif de pollinisateurs et quelques plantes ne sont plus dans une configuration viable, ce qui est révélé par l’analyse du modèle. Tout se passe comme si la situation initiale, très particulière puisque toutes les populations étaient viables, était transformée en une situation plus aléatoire ou « quelconque » (au sens mathématique du terme, comme dans la notion de triangle quelconque). Ici le phénomène décrit comme disruption fait disparaître la particularité de la situation initiale. De plus, cette particularité a un sens biologique : toutes les populations sont viables. La disruption fait donc disparaître le résultat très particulier de l’histoire naturelle au profit d’une situation plus aléatoire, plus « quelconque » vis-à-vis de la viabilité des populations, et ceci conduit dans notre exemple à l’effondrement de nombreuses populations. Épistémologiquement, il s’agit donc d’un modèle articulant des raisonnements historiques, à travers le caractère non-générique de la situation initiale, et des raisonnements relationnels, à travers les réseaux d’interaction (Montévil submitted).

Nous voyons donc que le concept de disruption s’applique aussi à ce niveau d’organisation : lorsqu’un résultat historique spécifique contribue à la viabilité d’un système grâce à cette spécificité, la disruption rend ce résultat aléatoire, diminuant ainsi la viabilité. Le lecteur remarquera que notre concept de disruption correspond en fait à l’effacement d’une nouveauté en un sens fort, tel que définie ci-dessus. La disruption est donc, en un sens l’opposé de la normativité – à ceci près qu’elle agit aussi et peut être surtout sur les normes issues de l’évolution. Nous avons par ailleurs décrit des disruptions de second ordre affectant non plus les nouveautés issues du passé et faisant parti d’une organisation mais la capacité d’un être vivant à produire des nouveautés fonctionnelles, bref sa normativité (Montévil 2021).

Notons que si l’on considère les individus biologiques comme dotés de capacités normatives, alors leur résilience est plus grande que dans la perspective de la synthèse moderne, où les réponses à un nouveau changement du milieu passent par des mutations et un processus de sélection – processus particulièrement lent. Cependant, les disruptions agissent typiquement sur des vulnérabilités issues de l’historicité du vivant. Ceci signifie que sa capacité à répondre de manière normative est amoindrie. De plus, la disruption étant l’effacement d’une nouveauté passée, elle a intrinsèquement une dimension irréversible. L’irréversibilité provient des propriétés du développement dans le cas des perturbateurs endocriniens, nous l’avons abordé, et par la disparition de populations dans le cas des écosystèmes. À ceci s’ajoute le fait que les disruptions se cumulent dans l’Anthropocène. Par exemple les pollinisateurs sont exposés aux pesticides en plus du changement climatique. Or, note Canguilhem, « chaque maladie réduit le pouvoir d’affronter les autres, use l’assurance biologique initiale sans laquelle il n’y aurait pas même de vie (Canguilhem 1972, p118) ». Nous argumentons qu’il en est des disruptions comme des maladies, de sorte que le vivant se trouve particulièrement fragilisé. Tous ces aspects des disruptions dans l’Anthropocène, c’est à dire vulnérabilité, irréversibilité et accumulation, s’additionnent pour mettre en difficulté les capacités normatives des êtres vivants.

4 Conclusions

Nous avons vu que le cadre conceptuel développé par Canguilhem dans le Normal et le Pathologique a d’abord suivi un revers en biologie par le tournant populationnelle suivit par la médecine et la biologie. Un courant minoritaire en biologie théorique a cependant développé un cadre dans lequel les normes sont bel et bien individuelles. La question de la normativité, quant à elle, est explorée de manière croissante en même temps que le cadre de la synthèse moderne décline – même si la normativité n’est pas désignée ainsi et n’est d’ailleurs en général pas développée conceptuellement. L’intégration entre ces deux aspects est d’ailleurs un travail en cours.

Dans le contexte de l’Anthropocène, où l’ensemble du vivant voit ses milieux changer du fait des dispositifs technologiques mis en place par les être humains, le travail de Canguilhem est aussi pertinent. Notons d’abord que si l’on envisage l’ensemble des êtres vivant comme dotés de normativité, alors leur capacité à surmonter les infidélités du milieu est beaucoup plus grande que si leur capacité à établir de nouvelles normes passe par le schéma populationnel basé sur la mutation et la sélection. Cependant, nous avons brièvement argumenté que les êtres vivants possèdent des vulnérabilités particulières, qui correspondent au fait qu’il sont le résultat singulier d’une histoire. Ces vulnérabilités conduisent à la description par les biologistes de nombreuses disruptions affectant les êtres vivants et que nous analysons comme étant la randomisation du résultat spécifique d’une histoire, autrement dit l’effacement de nouveautés fonctionnelles issue de l’histoire. La réponse normative face à ces disruptions est rendu difficile notamment lorsqu’elles comporte une irréversibilité particulière, affectant le développement par exemple. Canguilhem décrit la santé comme une assurance que la maladie vient plus ou moins épuiser. Mutadis mutandis, l’accumulation de disruptions vient aussi limiter les capacités des êtres vivants à surmonter la période actuelle.

Si une partie important de notre réaction face à la sixième extinction de masse de l’histoire de la Terre doit consister à limiter les destructions directes des êtres vivants ou de leurs habitats, il est essentiel de travailler aussi la question de leurs disruptions, d’autant que certaines, comme les perturbateurs endocriniens, affectent aussi les êtres humains. Or, l’action vis-à-vis des disruptions demande des connaissances biologiques plus poussées que l’action vis-à-vis des destructions. En effet, les disruptions proviennent des vulnérabilités des être vivants issues de leur histoire, comme la vulnérabilité face à certaines substances chimiques telles que les perturbateurs endocriniens. Avec de telles connaissances, il est possible de « ménager » les êtres vivants, c’est-à-dire de limiter la vitesse à laquelle ils sont exposés à des disruptions et de miser sur la normativité au sens de Canguilhem et sur les processus évolutifs pour répondre à ces changements des milieux. De ce point de vue, un des enjeux de l’Anthropocène est le rapport entre la vitesse à laquelle les disruptions se produisent et la vitesse à laquelle les êtres vivants produisent des changements fonctionnels, donc sont normatifs, que cela soit au niveau individuel ou populationnel.

À ce niveau, les êtres humains ont certains avantages car leurs capacités à changer de normes pour surmonter certaines disruption passe aussi par les savoirs, les comportements associés, et les changements des dispositifs technologiques. Nous pouvons donc accélérer cette normativité humaine. Ainsi, il y a une disruption du développement cognitif et psychologique des jeunes enfants par la surutilisation des écrans, en particulier mobile, qui amoindrissent la relation entre adultes et enfants (Bossière 2021; Montévil submitted). Pour répondre à cette disruption, nous, Bernard Stiegler, Marie-Claude Bossière et moi-même, avons mis en place un travail collectif à Saint Denis, en regroupant parents, professionnels et chercheurs (Montévil 2024). Alors, l’introduction de considérations théoriques tant sur le développement de l’enfant que sur ces technologies et leur économie accélère le développement de savoirs limitants les disruptions engendrées par ces technologies, bref la normativité humaine.

References

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